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5 h 45
Riggins avait fait venir à Los Angeles le grand spécialiste ADN de la DAS. Mais Dark avait préféré recourir de nouveau à Banner. Ils parlaient la même langue. Et Banner ne serait pas empêtré dans les procédures de la DAS. Il se concentrerait sur sa tâche sans s’occuper du reste.
Dark était venu le retrouver et attendait les résultats. Encore une minute, lui assura Banner. Avec des pinces de chirurgien, il avait déposé dans un tube à essais un fragment du cure-dents retrouvé sur le sol de la chambre de la jeune mère – la victime du film qui avait été adressé à Dark – et ajouté une solution saline permettant de libérer l’ADN, avant de tout placer dans le spectromètre de masse. Le tube tournait devant un faisceau lumineux.
Et, finalement, quelques heures plus tard, un bip avait résonné.
Dark ne s’étonna pas vraiment que l’échantillon, une fois comparé à la base de données de Quantico, fasse surgir ce message à l’écran :
Source confidentielle
AUTORISATION DE NIVEAU 5 REQUISE
Banner l’interrogea du regard. Un tel message signifiait que l’échantillon provenait d’un individu très haut placé dans le gouvernement. Ils avaient besoin de l’autorisation d’un supérieur hiérarchique.
— Pas d’inquiétude, dit Dark. Je sais qui c’est. Je procède simplement par élimination. Mais j’ai quelque chose d’autre pour toi.
— Ah bon ? Un truc sympa, au moins ?
Dark sortit de sa poche le sac à vomir contenant la mignonnette de whisky.
— Oh, fit Banner, déçu.
— Si tu peux comparer avec notre échantillon, ça me tranquillisera un peu.
Peu après, le résultat arriva : oui, l’homme qui avait utilisé ce cure-dents et celui qui avait vidé cette mignonnette étaient une seule et même personne. Et pas du genre prêteur : il n’y avait qu’un seul ADN sur l’un comme sur l’autre.
— Tu as dans ton équipe quelqu’un qui aime boire et se curer les dents, ironisa Banner.
Il restait un dernier échantillon à comparer. C’était facile : il figurait déjà dans la base de données. Le tout était de télécharger le fichier depuis l’ordinateur de la DAS. C’était un échantillon sanguin.
— Il était temps, fit Banner.
Il éprouvait un peu trop de plaisir à travailler sur les fluides corporels.
L’échantillon sanguin correspondait lui aussi.
Dark remercia Banner et ouvrit le dossier une fois dans le couloir. Cela, il ne pouvait le montrer à Banner.
Le dossier contenait des photos de lieux de crime – que Riggins était parvenu à soutirer au personnel de Wycoff – de l’affaire Charlotte Sweeny, la jeune mère. Celle dont le bébé avait assisté au meurtre. C’était si charmant comme nom, se dit Dark machinalement avant de se rendre compte que non, ça ne l’était pas du tout. Charlotte était proche de harlot – pute, en anglais – et Sweeny de sweety – gentille. Charlotte la gentille pute. La salope. La mère célibataire, qui méritait une bonne leçon.
Dark feuilleta les photos, qui racontaient l’histoire bribe par bribe.
La porte du patio de la maison d’une banlieue de Washington. Pas mal, pour une mère célibataire. Mobilier provenant d’un catalogue haut de gamme. Un coup de fil et vous êtes livré. Pas de livres. Pas de bibelots. Pas de collections indiquant des goûts personnels.
Gros plan sur la porte. Un trou circulaire typique formé par un coupe-verre. Des fragments de verre au-dessous.
Des taches de sang sur la moquette.
Vues du couloir et de la chambre. Celle de Charlotte Sweeny.
D’autres taches entre un matelas et un sommier dont les draps ont été arrachés. Beaucoup de taches sur le sommier, un filet de sang a coulé sur le côté. Non, pas un filet, plutôt des giclées.
L’édredon ensanglanté. Le nounours. Le cure-dents.
Des objets ordinaires retrouvés désormais dans un tableau macabre. Des objets qui faisaient partie de cette maison…
À part un.
Dark se rappela avoir vu Wycoff se curer les dents dans l’Air Force Two quelques heures plus tôt. Ce type était du genre maniaque de ce côté-là.
Un cure-dents, ce n’est pas le genre d’objet qu’on trouve chez une ado ; cela avait tracassé Dark quand il avait vu la vidéo quelques jours plus tôt mais n’avait fait tilt que ce matin, lors de leur entrevue avec Wycoff.
Cependant, ce n’était encore qu’une intuition. C’est pourquoi Dark avait pris la mignonnette dans le sachet. À présent, l’analyse ADN confirmait le pire. Enfin, Dark comprenait les raisons de cet empressement. Les menaces. Les colères.
Et, si cela n’excusait pas le comportement du ministre de la Défense au cours de ces derniers jours, Dark en comprenait désormais la raison.
C’était un abus de pouvoir causé par la démence.
Il ferait n’importe quoi pour protéger Charlotte la gentille pute. Et punir son assassin.
Dark allait devoir marcher sur des œufs. Pour l’instant, pas question de mettre Riggins et Constance dans la confidence. Il composa un numéro sur son Blackberry et attendit.
— Je dois parler immédiatement à M. Wycoff, dit-il. Prévenez-le que j’ai la réponse qu’il attend.